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Tous les étés, le Théâtre régional des Pays de la Loire part en itinérance. Une « tournée des villages » organisée pendant un mois et demi dans les cinq départements de la région pour rendre accessible la culture, dans des communes où la population en est souvent éloignée.
Chaque été, la troupe du théâtre régional des Pays de la Loire sillonne la région. Cette année, elle parcourt les cinq départements, 38 communes pour autant de représentations, dans des villages où les théâtres sont souvent très éloignés pour la population.
Du montage de la scène à la tenue de la buvette
Ce soir-là, à Châteauneuf-sur-Sarthe, dans le Maine-et-Loire, à une trentaine de kilomètres au nord d’Angers, les neuf comédiennes et comédiens du « TRPL » comme ils le surnomment, jouent « L’Avare » de Molière, mis en scène par Camille de la Guilloninière, le directeur du théâtre. Ce n’est pas dans un théâtre qu’a lieu la représentation mais au milieu d’une grande étendue d’herbe, entre les tables de pique-nique et les jeux pour enfants, à côté du chemin de halage du bord de la Sarthe.
Avant cela, il faut tout préparer, à commencer par la scène à monter. Car dans cette compagnie, tout le monde participe à toutes les tâches. Pendant près d’une heure, chacun s’attèle à porter de grands tréteaux et planches de bois. « On emboîte les tréteaux, puis les planchers. C’est à différentes hauteurs, la scène est modulable. Tous nos décors sont tous les ans surélevés pour que les gens à même le sol puissent voir jusqu’au fond de la non salle », explique Jessica Vedel, l’une des comédiennes les plus anciennes de la troupe. Et désormais, chacun sait quoi faire, ce qui permet de gagner des minutes de montage.
Une fois la scène posée, toute la troupe se regroupe pour l’opération la plus délicate du montage : porter une petite caravane de 180 kilos à 1,10 mètre de hauteur, c’est-à-dire sur la scène. L’unique décor pour la pièce, avec une grande moquette d’herbe synthétique qui l’entoure. Pour cela, le metteur en scène s’est « vaguement inspiré » du film d’Ettore Scola, « Affreux, sales et méchants », où un homme avec un gros magot, vit dans un bidonville de Naples. « Il est là avec toute sa famille, ils ont tous envie de se saisir de son magot. Et ce bidonville m’a un peu inspiré. Notre « Avare » aime tellement l’argent, que ce qui compte c’est d’en entasser le plus possible. Alors il a vendu tout ce qu’il avait, sa maison et vit dans qui coûte le moins cher à entretenir : une petite caravane au fond d’un terrain vague. Il a même vendu la moitié de cette caravane qui ne fait plus qu’un mètre de profondeur car il pouvait tirer un peu d’argent du métal. Et il vit là, entassé avec ses enfants, les amis de ses enfants, des domestiques qu’il ne paye sûrement pas… C’est la maison de notre Arpagon. »
Monter le décor mais aussi faire des gâteaux et des courses puis tenir la buvette avant et après le spectacle, accueillir le public, raccommoder les costumes, réparer le décor lorsque c’est nécessaire, c’est le quotidien de la compagnie et pour Adrien Noblet, qui a rejoint la troupe il y a dix ans, « cela reconnecte au travail, à des choses plus concrètes. » L’acteur l’admet, il ne « ferait pas cela toute l’année car c’est très fatigant mais on entre en scène, on n’a pas le temps de se préparer pendant quatre heures, à penser… Cela amène un autre état d’esprit assez plaisant. »
Une troupe proche de son public
Un état d’esprit que cultive le directeur du théâtre Camille de la Guillonière. « Cela fait partie de l’essence de la troupe de tous connaître les métiers des uns des autres. Au début, c’était une question de budget. On avait à peine de quoi financer les salaires des acteurs alors il fallait absolument faire tout. Maintenant, c’est tout de même plus confortable. Néanmoins, on garde cet esprit. Depuis quelques années, il y a aussi un technicien avec nous. Et cette année, il joue dans le spectacle ! Cela créé une forme de cohésion. Je n’aime pas du tout le cloisonnement avec les administratifs d’un côté, les acteurs de l’autre et la technique d’un troisième côté. »
Camille de la Guillonière est originaire de la région. Lors de ses études de théâtre, ses professeurs lui parlaient beaucoup de la décentralisation théâtrale d’après-guerre avec Jeanne Laurent et Jean Dasté. Puis un jour, sa tante lui raconte qu’après la guerre, la boulangère du village voisin avait joué Marie Stuart de Friedrich von Schiller dans le théâtre du bourg… « Si à l’époque, les gens avaient envie de voir cette pièce, il n’y a pas de raison que cela ne puisse pas renaître car il y a peu de propositions de théâtre professionnel à la campagne », se dit-il. C’est ainsi qu’est née la première tournée des villages, avec trois villages la première année. 17 ans plus tard, 38 villages accueillent une représentation pendant l’été.
« Il y avait cette envie de rencontrer le public, ajoute le metteur en scène*, d’aller à la rencontre des gens qui n’ont pas forcément accès à la culture. Puis en jouant le reste de l’année dans des théâtres, on s’est rendu compte qu’on avait peu d’occasion d’échanges avec le public. Une fidélité s’est créée et désormais, il y a reconnaissance mutuelle entre le public et la troupe qui reste à peu près la même d’une année sur l’autre. Cette proximité nous nourrit tous ! C’est pour cela qu’on revient chaque année, pour tisser de vrais liens avec le public. »*
La culture accessible à tout le monde et partout
Aude Pons, l’une des comédiennes, abonde : « On est complètement en lien avec les gens, cela donne vraiment du sens au théâtre. Le fait qu’on les accueille, on leur parle tout de suite, on les voit ! Il y a vraiment une communion qui fait que cela désacralise et rend encore plus important ce que l’on fait. On entend souvent : ‘le théâtre, ce n’est pas pour nous !’ C’est dommage parce que le théâtre c’est se raconter des histoires, une chose que les êtres humains font depuis la nuit des temps. C’est peut-être une des premières choses qui a fait que la culture existe, alors j’ai envie de dire : ‘Non ! C’est pour vous !' »
Pour s’inscrire un peu plus dans la vie du village, la troupe s’installe le plus souvent dans des lieux connus des habitants et qui font partie de leur quotidien. Lorsque la municipalité ne peut pas se permettre de financer la totalité de la représentation, une participation est demandée au public. Elle varie entre trois, six ou dix euros, afin de laisser à chacun la possibilité de payer selon ses moyens.
C’est la troisième fois que la compagnie se produit à Châteauneuf-sur-Sarthe, qui est rattaché à la commune des Hauts d’Anjou. Et le maire délégué, Marc-Antoine Driancourt, ne manque jamais une représentation. Il apprécie les mises en scène décalées. Et reconnaît que le théâtre n’est pas une activité immédiate pour les gens de la campagne. « On est tout de même en retrait d’Angers. On a beaucoup d’anciens qui ont du mal à se déplacer. Et des jeunes pour qui ce n’est pas inné d’aller écouter du théâtre. Alors quand la culture vient à eux, cela lève ces obstacles. »
Cet été, entre 200 et 400 personnes viennent assister au spectacle chaque soir, un record. Il y a sans doute un effet « après » crise sanitaire. De plus en plus de communes sont aussi en demande. Si bien que pour la première fois, deux pièces ont été jouées simultanément : « L’Avare » et une adaptation de « La Vieille Fille » de Balzac.